Art et égo

Il paraît qu’aujourd’hui c’est la journée de l’art.
Alors parlons d’art. Et d’égo, tiens.

Moi. art. moi. art. moi. art.

J’ai lu quelque part, sur un post Instagram que je n’arrive pas à retrouver, une opinion selon laquelle l’art, comme le capitalisme, serait avant tout un moyen d’expression de soi.

Même si la comparaison entre art et capitalisme me gêne de manière viscérale, j’ai trouvé cette idée intéressante. “L’art est avant tout une expression de soi”. Je pense ça. Je dis ça. Je fais ça.

On parle souvent de la place de l’égo dans la création, de l’artiste et de son “égo”.
Que ce soit un égo surdimensionné et invivable à la Picasso ou bien un égo plus discret, tapis dans l’ombre mais qui colle à la peau (j’en connais un rayon, venant d’une famille constituée de beaucoup d’artistes avec des personnalités en tous genres).

Mais attention, l’égo, la construction du soi nous permettant de se considérer comme individu propre (ou sale 🙂), ça ne concerne pas que les artistes.

Les enfants, les ados, les jeunes, eux aussi, sont pris dans le tourbillon de l’égo.
Ces douces années, quand on se dit qu’à 20 ans, on est les rois du monde.  ↓

Les enfants, les ados, les jeunes, eux aussi, sont pris dans le tourbillon de l’égo.
Ces douces années, quand on se dit qu’à 20 ans, on est les rois du monde.  ↓

Mais ça vaut aussi pour les adultes (je sens ma petite crise de la 30aine arriver au galop 🐎 pour parler d’égo), et les plus vieux n’ont pas à se cacher non plus ! On fini tous par devenir notre propre caricature, donc bon.

La vie est une longue exploration de notre égo et du monde qui nous entoure. On est toutes et tous obnubilé par notre existence (par l’idée même de la mort 💀, mais STOP c’est un autre sujet) et par la place qu’on souhaite se faire dans le monde. Que ce soit adhérer à un groupe ou s’en écarter.

L’égo peut prendre beaucoup de place, consciemment et inconsciemment. Dans nos pensées, nos paroles, nos actions. Et c’est normal : nous, humains, sommes faits d’eau et d’égo (et plein d’autre choses aussi heureusement).
Et c’est chouette, ça montre qu’on a une certaine sensibilité, et qu’on veut la montrer (ou se la garder, si on est timide ou si on s’en fout). Qu’on prétend être plus qu’un saucisson 🍖.

Mais revenons-en à l’art (sans en donner une définition précise, STOP autre sujet).

En tant que pratique ou connaissance (apprise, appropriée, renouvelée), c’est une forme d’expression de soi, une expression de notre égo, de notre façon de voir et d’être au monde.

Mais j’ai lu récemment dans un livre, L’Octopus et moi de Erin Hortle (vous comprendrez que j’aime bien le sujet “pieuvre”), un chapitre qui continue à me convaincre que l’art, ça n’est certainement pas qu’une question de soi. Ça n’est pas seulement montrer ce que je pense ou ce que je ressens.

C’est aussi considérer l’autre, de manière intrinsèque et essentielle.
L’autre (animal – ça inclut le genre humain pour celles et ceux qui s’imaginent qu’on est au-dessus -, végétal, minéral, transcendantal, mystical, tout ce que tu veux) qui n’a peut-être rien à voir avec nous, mais qui existe.
C’est considérer le lien, microscopique ou énorme, qu’il y a entre cet Autre et soi, l’impact qu’on a l’un-e sur l’autre.

Bref, la cohabitation, quoi.

Et tout le monde sait que dans un appartement ou une maison, ça marche mieux quand on reconnait l’existence de sa/son coloc, de ses besoins et limites, et de nos besoins et limites.

Voici donc un extrait de ce chapitre, de cette histoire d’octopus. Ça parle d’une pieuvre qui cherche à rejoindre l’océan pour y pondre ses oeufs.

“Mon corps déborde il palpite il ronronne il est prêt. Le monde se meut si lentement au gré de la marée qui déferle et inspire et expire. (…) Je sens la surface qui approche et avec ma peau je sens-vois le clair de lune pris dans les tourbillons qui tournoient qui bouillonnent tout autour de mes tentacules enroulés déroulés et le clair de lune m’enveloppe il caresse mes tentacules qui effleurent le fond de varech le rivage de varech. Je capture un crabe trébuchant que je croque dans mon bec et j’ondule je danse je vire je me propulse jusqu’à l’autre bout du lit d’algues ondulantes attirée par le tonnerre le grondement qui m’appelle. (…) Dans le déferlement des vagues qui inspirent qui expirent la surface s’élève et s’abaisse contre moi l’eau bouillonne écume dans l’air et je suis submergée c’est bien.”
“Mon corps déborde il palpite il ronronne il est prêt. Le monde se meut si lentement au gré de la marée qui déferle et inspire et expire. (…) Je sens la surface qui approche et avec ma peau je sens-vois le clair de lune pris dans les tourbillons qui tournoient qui bouillonnent tout autour de mes tentacules enroulés déroulés et le clair de lune m’enveloppe il caresse mes tentacules qui effleurent le fond de varech le rivage de varech. Je capture un crabe trébuchant que je croque dans mon bec et j’ondule je danse je vire je me propulse jusqu’à l’autre bout du lit d’algues ondulantes attirée par le tonnerre le grondement qui m’appelle. (…) Dans le déferlement des vagues qui inspirent qui expirent la surface s’élève et s’abaisse contre moi l’eau bouillonne écume dans l’air et je suis submergée c’est bien.”

Il n’y a presque pas de ponctuation. Pas par flemme, mais parce qu’une pieuvre, si on l’observe, elle coule, elle s’enroule, elle déroule. Ses sensations sont là, et pas besoin de poésie pour les décrire, on ne sait pas si les pieuvres sont des poètes d’ailleurs.

Bref, j’ai l’impression qu’Erin Hortle, à force d’observer les fonds marins et les pieuvres dans un cadre scientifique, a voulu transmettre, à sa manière humaine et par la littérature, ce qu’elle sait de cet animal et de son environnement. En imaginant son fil de pensée, ses actions et ses sensations animées directement par les forces naturelles. Pas pour dire “les pieuvres, ça pense comme ça”, non. Mais pour nous faire sortir de notre enveloppe humaine et de nos pensées égocentriques.
Essayer de se mettre à la place d’une pieuvre, avec les moyens qu’on a.

Pour moi (déso pour l’égo), avant d’être une pratique avec des règles et des théories, l’art est avant tout un état d’esprit que tout le monde peut choisir ou non d’habiter.

Il s’agit d’explorer la conscience de soi, l’égo (nos besoins, nos limites, nos envies, nos pensées) et la conscience de l’autre, l’empathie (ses besoins, ses limites, ses envies, ses pensées). Ces deux explorations se déroulent l’une avec l’autre, au fil de la vie et des expériences de chacun-es.

L’art de la cohabitation (à l’inverse de l’invasion), c’est la vie, au sens littéral du terme.
C’est grâce à la cohabitation que le monde vit.

Et cet état d’esprit, cet art, prend forme à travers les traces qu’on laisse (visibles ou invisibles) à force d’observer et d’essayer de transmettre, avec les moyens qu’on aime et qui nous animent, une empreinte du monde parmi d’autres.

Vive le documentaire. 🙌

‣‣ petit dessin que j’ai fait d’une pieuvre pour finir, parce que j’aime bien les pieuvres, même si vous, ça vous fait rien – tu la sens la petite crise d’affirmation de soi de la 30aine qui arrive 🐎🐎🐎🐎🐎 ? Oh oui oui oui

dessin d'une pieuvre au crayon

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